vendredi 2 mars 2012

Pour un Québec conscient (3)

Dans les deux billets formant le début de cette série sur le Québec, la crise et le futur de la province, nous avons vu que pour le Québec, être un peu plus à gauche du spectre économique a grandement aidé la province à minimiser les premiers impacts de la crise. Aussi, comme l'histoire du Québec nous montre que le Québec s'est bâti et a atteint des sommets en appliquant des politiques clairement plus socialistes que d'autres provinces canadiennes et d'autres pays occidentaux, l'évidence est de conclure qu'il s'agit de poursuivre, voire même d'accentuer certaines de ces politiques, afin de mieux encore affronter ce qui s'en vient.
Explorons donc ce que les divers intervenants proposent pour le Québec, afin de voir si les solutions proposées vont dans la direction qui serait souhaitable compte tenu de nos observations précédentes. Une multitude d'auteurs et d'acteurs politiques ont multiplié les interventions et les publications depuis quelques années.
L'importance de l'État
Dès 2003, ce genre d'idées était donc déjà amenée sur la place publique par Gil Courtemanche, dans son livre: La seconde révolution tranquille - Démocratiser la démocratie. L'auteur et journaliste y évoque d'abord le  concept de solidarité, puis il s'attaque à celui de démocratie, en argumentant qu'il n'y a pas de démocratie sans la gauche. "Un pays sans grande organisation politique de gauche est un pays atrophié. Une démocratie sans parti de gauche est une fausse démocratie, une démocratie malade. Les plus grands perdants sont les citoyens ordinaires et ce sont évidemment les riches qui gagnent au change.C'est encore plus vrai aujourd'hui, alors qu'un capitalisme sauvage , semblable à celui du début du siècle dernier, s'est installé et que ses dirigeants ne dissimulent même plus leur envie de revenir en arrière et de sabrer dans les gains (...) que les citoyens ont conquis de haute lutte grâce à la gauche". Véritable précurseur des problèmes qui allaient arriver avec la crise mondiale que nous vivons, Courtemanche soulignait avec justesse: "Les États politiques s'agenouillent sous le joug du marché et de la nouvelle économie mondiale. Les souveraineté nationales, expression puis refuges de la volonté populaire, rétrécissent comme peaux de chagrin". Il n'y a qu'à constater ce qui se passe en Europe depuis un an et demi pour comprendre à quel point il avait vu juste. Comme s'il voulait répondre à ceux qui disent que les indignés sont apolitiques, ne s'impliquent pas ou manquent de revendications claires, il déclare: "Les militants les plus convaincus ou les jeunes assoiffés de changement et de justice quittent les partis quand ils ne les ignorent pas complètement. Ils ne sont pas dépolitisés: ils choisissent une autre politique". La société civile, qui englobe les écologistes et autres activistes de toutes sortes, est essentiellement issue de ces gens qui se politisent autrement que par les grands partis, qui semblent presque tous à la solde du pouvoir économique. Il souligne que le québécois lamdba semble se réfugier dans le confort et l'insouciance, ce qu'il associe à une certaine démission positive, un peu comme le faisait Arcand dans son brillant documentaire sur l'échec du premier référendum. En conclusion, Courtemanche suggère trois grands objectifs pour sortir du modèle problématique où nous sommes; Une refonte du mode de scrutin, participation citoyenne à la gestion publique, et démocratie économique minimale.
Les objectifs de la gauche
Vers la fin de 2008, alors que l'on ne mesurait pas encore l'ampleur de la crise mondiale, le sociologue et écrivain Jean-François Lisée explorait à son tour les pistes de changements sociaux que nous pourrions suivre, dans un livre intitulé Pour une gauche efficace. L'objectif de sa gauche efficace est celui "d'une société où il fait bon vivre et qui a donc les moyens de sa qualité de vie. Elle a pour objectif de favoriser l'épanouissement économique, culturel, scientifique, écologique se ses citoyens et de ses communautés.". La gauche efficace de Lisée "ne vise pas la création de richesses comme une fin en soi, mais la qualité de vie, dont la prospérité durable este une variable essentielle". L'auteur se place donc d'emblée en totale opposition aux Lucides, dont la création de la richesse économique était le point central du manifeste. Lisée reproche aux tenants de la droite et aux obnubilés du PIB de ne jamais mettre en perspectives leurs chiffres avec la réalité sociale. Chiffres et analyses à l'appui, il démontre que les riches sont plus nombreux au canada anglais et aux États-Unis qu'au Québec, mais que le 20% de plus pauvre est mieux nanti au Québec qu'ailleurs en Amérique du Nord. Il établi de la même manière que le Québec - grâce à ses politiques sociales passées - a un taux de scolarisation le plaçant 8e sur les 24 pays de l'OCDE, alors que les États-Unis sont 20e. Lisée n'hésite pas non plus à suggérer certaines idées attribuées à la droite, comme une libéralisation des tarifs d'électricité, ou des baisses de taux d'impôts (mais des hausses des taux de taxes à la consommation), mais il accompagne toujours ses propositions d'encadrement et d'interventions de l'état pour réguler ses propositions, d'où son intitulé de "gauche efficace", terme qu'il a d'ailleurs emprunté à François Legault, de l'époque où celui-ci était au Parti Québécois, ceci expliquant peut-être également le flou volontaire que Legault entretient sur ses idées politiques.
Éviter/sortir de la crise
En 2009, Lisée, qui est directeur exécutif du CERIUM, revenait avec une anthologie, co-dirigée avec Éric Montpetit, professeur du département de sciences politiques de l'université de Montréal intitulée Imaginer l'après crise - Pistes pour un monde plus juste, équitable, durable. Ce recueil -  issu d'un séminaire tenu en avril 2009 pour souligner le 5e anniversaire du Centre - propose des textes d'auteurs très variés qui analysent la crise et les avenues de sorties souhaitables, avenues dont la plupart relèvent d'idées de gauche, tel que son sous-titre le laisse entendre. L'ex-candidat socialiste à la présidence française Lionel Jospin y signe un texte où il démontre la nécessité de réglementer plus efficacement l'économie de marché actuelle. "La régulation est indispensable à la mondialisation. Elle passe par une restauration du rôle des États.". Toute la première partie ud livre est d'ailleurs constituée de texte qui tente de briser le moule, la norme qui est maintenant acceptée partout sans même être remise en question et qui repose sur les théories et politiques néolibérales, celles-là même qui ont précipité l'occident en crise et qui ne sont toujours pas à ce jour, remises en question par les gouvernements en place, malgré les beaux discours. Par exemple, Éric Montpetit s'attaque à la dérive économiste "qui a chassé de l'analyse des décideurs les variables pourtant essentielles de la psychologie, la sociologie et des sciences politiques, et d'autres outils de la compréhension de l'activité humaine". Ce que la "science économique" avance traite toutes ces questions humaines - de même que les questions environnementales - comme des "externalités". Les modèles proposés (et appliquées actuellement par la grande majorité des gouvernements en occident, y compris ceux d'Ottawa et Québec en ce moment) n'incluent donc jamais ces variables. En seconde partie, Lisée lui-même explore les diverses réponse à la question: "Peut-on imaginer des réformes qui permettent, dans un premier temps, de dompter le capitalisme pour qu’il fasse plus de bien que de mal? Peut-on se préparer à le dépasser, pour qu’il ne soit plus le mode dominant de l’organisation humaine?".
La droite et la gauche au Québec
Parmi les autres auteurs récents, on peut également consulter De colère et d'espoir de Françoise David, porte-parole de Québec Solidaire, ou encore le recueil De quoi le Québec a-t-il besoin?, publié sous la direction de Marie-France Bazzo, Vincent Marissal et Jean Barbe. Ces livres récents sont loin d'être uniques; il ne se déroule pas une semaine sans qu'un bouquin politique ne soit publié au Québec. Parmi les plus récents, mentionnons les livres et chroniques de Éric Duhaime, Jean-François Lisée, encore, et Mathieu Bock-Côté la semaine dernière.
Du côté de Duhaime, ses délires anti-État et anti-babyboomers achalent au début, puis font rire jaune tellement ils sont gros. Partisan d'une extrême droite assumée dans ses textes (mais pas à la télé de la SRC où il tente d'apparaître modéré), obnubilé par le déficit, Duhaime propose une sérieuse cure d'amincissement de l'État, une tâche qui "nécessiterait une personnalité de l’envergure de Margaret Thatcher". Faisant l'éloge d'une des grandes responsables des politiques néolibérales qui ont finalement plongé la Grande-Bretagne dans sa pire crise économique depuis 100 ans, Duhaime n'a visiblement rien compris à ce qui a aidé le Québec à éviter le pire de cette crise.
Dans son dernier pamphlet politique, Lisée s'attaque carrément à 15 affirmations de la droite québécoise, et réaffirmant que les politiques socialistes correspondent beaucoup plus aux valeurs québécoises. L'auteur propose également de faire encore mieux que ce que nous avons fait jusqu'à maintenant, en terme social.
Bock-Côté, qui publie autant au Journal de Montréal qu'au Devoir, adopte une position centriste plus posée, mais très loin de la droite à la Duhaime. En ce sens, sans être de gauche comme Lisée, il se rapproche beaucoup des idées de ce dernier. Sur le capitalisme, il écrit: "Une société qui tournerait le dos au capitalisme s’appauvrirait économiquement. Mais une société ne vivant plus que pour le marché s’appauvrira culturellement." À la différence de Lisée, par contre, le sociologue Bock-Côté fait directement la promotion des valeurs traditionnelles, même quand il propose un meilleur encadrement de l'économie de marché. "Le capitalisme n’est pas sans grand défaut. Il ne faut pas l’abolir, mais l’encadrer. Mais pour l’encadrer correctement, il ne faudra miser exclusivement sur une régulation bureaucratique tatillonne. Elle ne suffit pas. Il faudra redécouvrir des valeurs culturelles fondamentales. La discipline. Le travail. La famille. La nation. La culture. Ces valeurs apprennent à penser à long terme. À relativiser ses désirs. Elles nous éloignent de l’insignifiance.". Affirmant ne pas croire au multiculturalisme de la société québécoise, et se définissant comme "gaulliste", il revient à ses valeurs traditionnelles dans son bilan de 2011, en identifiant le problème principal du Québec: "Notre société a complètement perdu ses repères. Elle n’est pas seulement déréglée en surface, mais en profondeur".
Approfondir les questions socio-économiques - Références
Il y a aussi les études de Ll'IRIS: institut de recherche et d'informations socio-économiques que l'on peut consulter sur des sujets plus précis (comme par exemple le débat actuel sur la hausse des frais de scolarité et l'accès aux études universitaires). Enfin, si on cherche une couverture (mondiale mais avec une vision d'ici) à peu près complète sur le sujet des politiques sociales, on peut justement consulter mensuellement le site de Politiques Sociales, publié par le Centre de recherche sur les Politiques et le Développement Social de l'Université de Montréal.
Qui est porteur de ces solutions?
C'est bien beau de voir que beaucoup de solutions et de pistes de solutions sont proposées par divers intervenants. C'est encore mieux de voir que la plupart des intervenants sérieux proposent des idées qui vont dans le sens des politiques socio-économiques qui ont permis de mieux préparer le Québec à la crise et d'assurer au québécois un meilleur filet social. Mais encore faut-il quelqu'un (groupe, parti, leader) pour les porter vers leur mise en place. Pour le moment, sans changement de système, au Québec, il faudra que l'un des partis politiques deviennent porteur de ces solutions si on veut espérer les voir implanter un jour. Sans vouloir effectuer une analyse en profondeur des programmes actuels des quatre partis représentés à l'Assemblée Nationale (et qui seront peut-être bientôt en campagne électorale si on en croit les rumeurs), on peut tout de même dresser un tableau sommaire de leurs positions actuelles sur ces questions.
C'est ce que je me propose de faire dans la 4e et dernière partie de cette série sur le Québec et la crise.
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